Glacial. Un souffle de vent s’engouffrant dans la ruelle faisait claquer la porte du bâtiment abandonné. Comme lui, cet homme était laissé pour mort, abattu sous des cartons humidifiés par la pluie. Plus rien ne valait le coup, même pas sa vie qui se perdait dans chaque expiration coupée par le froid. Ses doigts gourent, il ne les sentait plus. Seuls les faibles battements de son cœur tambourinaient contre ses tempes creusées par sa maigreur. Au loin il voyait une famille, sortant de l’hôpital devant lequel il avait bien souvent demandé la charité. Les Williams. Une grande famille dans l’histoire de l’hôtellerie notamment par le père. Il les enviait plus que tout. Ils avaient une maison, une grande maison avec un jardin des plus beaux. Deux adorables enfants dont Heavynne, qui était née il y a trois jours environs. Son frère Noah, un tout jeune homme mais déjà tellement loyal. Oui, il les enviait comme personne ne les avait jamais enviés. Le regard qu’il portait sur eux était idéal, presque utopique. Comment une famille faisait-elle pour être si soudée ? La sienne était partie en éclat le jour où sa femme a appris qu’elle était atteinte d’un cancer. Eux aussi avait une maison, une famille et beaucoup d’argent mais la maladie les a ruinés en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Et au fond de lui, bien qu’il ne les connaissait que de nom, il souhaitait que la famille Williams continue de vivre dans la richesse et le bonheur.

Et ce fût le cas. Ils représentaient la famille idéale. Deux parents s’aimant quoi qu’il se passe et deux enfants très complices, trop peut-être. Noah, déjà tout jeune, était du genre à protéger - voire surprotéger - sa sœur cadette. Elle se souvient encore de cet après-midi où elle jouait dans le bac à sable du parc et qu’un garçon est venu l’embêter. Son frère, son héros était venu tout de suite après pour récupérer la poupée de sa sœur et lui redonner. Oui, rien que pour ça Noah était devenu le héros de sa sœur, et encore aujourd’hui, il l’est. C’est à tout juste 5 ans qu’elle se passionne pour la musique. Sa mère femme au foyer était autrefois une femme remarquée dans le domaine musical. Les photos, les vidéos et parfois les morceaux que sa mère jouait au piano donna très vite à Heavy’ l’envie d’en faire autant. Et c’est ce qu’elle fit. Très vite on détecta chez elle ce que l’on appelle l’oreille absolue, ce qui expliquait sa facilité à jouer du violon, du piano, de la guitare et de la harpe. Mais ce qu’elle aimait le plus c’était la danse, bien qu’elle soit plus difficile pour elle que la musique. Mais, elle a toujours été ainsi, aventurière aimant la difficulté plus que la facilité pour se surpasser. Alors pendant seize ans, jusqu’à ses vingt ans, elle pratiquait, pratiquait, pratiquait de jour comme de nuit dans l’espoir de monter sur les planches en tant que professionnelle. Elle s’était tuée à la tâche, plus que jamais et il ne fallu qu’une chute pour tout briser…

Elle se souvient encore de ce matin là… 10.46 AM, cette heure si significative, si destructrice… Elle était de nouveau à l’hôpital qui l’avait vu naitre. On lui avait dit qu’elle s’en remettrait dans un mois ou deux… mais au final, elle ne s’en remettrait jamais. Le visage décomposé de son entraîneur lorsqu’il est entré dans la chambre de l’hôpital lui donnait encore des frissons. Le couperet était tombé, son rêve était brisé, envolé, détruit. Elle sentait encore le tracé de ses larmes silencieuses. Elle avait tout fait pour être danseuse. Elle avait oublié l’amour, elle avait mis de côté sa vie sociale et tout ça pour rien, absolument rien. Elle resta pendant des jours enfermée dans sa chambre, ne se nourrissant que de ce qui pouvait la faire tenir debout. Elle en avait oublié jusqu’à son frère. Et puis finalement elle se rendit vite compte qu’en se laissant aller elle n’allait rien faire de sa vie. Et c’est pas comme ça qu’elle réussirait à ressembler à son frère, ce n’est pas comme ça qu’elle pourra le rendre fière. Alors malgré tout ça, elle recommença ses études mais cette fois dans la musique - bien qu’elle ne se gênait pas pour donner des cours de danse à des enfants -. Mais cette fois ci, elle refusait d’y mettre toute son énergie, elle ne voulait pas que cela devienne de nouveau décevant. Alors elle sortait avec les rares amis qui lui restait, elle s’amusait et surtout elle rencontrait des garçons.

Et puis un jour, elle a assisté à une scène déplorable et inquiétante. Non, ce n’était pas un meurtre ou un accident de voiture, rien de tout cela. Juste son frère… oui on pourrait dire « juste son frère » mais pour elle c’était bien plus que ça. C’était son héros, cet homme si fort et si drôle qui venait de partir en fumée juste pour une fille. Elle ne saurait vous l’expliquer mais le voir aussi bas et ne rien pouvoir faire pour le remotiver, pour lui remonter le moral, elle compris une chose des plus évidentes : L’amour détruit au moindre dérapage. Alors intérieurement elle se promis de ne jamais s’attacher, de ne laisser personne entrer dans son repère tout simplement parce que si son frère était détruit par ça, elle ne pourrait pas le supporter elle-même si ça lui arrivait. C’était donc hors de question de prendre le risque de se faire couper les ailes pour cette connerie qu’on appelle l’amour.

A présent Heavynne est en dernière année de ses études et elle a plein d’espoir quant au fait d’intégrer un jour un orchestre connu. La danse ? Elle l’enseigne toujours à ses jeunes enfants et parmi eux une jeune fille. Pas plus haute qu’Heavy lorsqu’elle a commencé mais tellement talentueuse. Elle vous avouera volontiers qu’elle mise ses espoirs et ses efforts pour cette petite fille, risquant peut-être une déception de plus mais peu importait maintenant. Oui, peu importait depuis qu’elle avait appris dernièrement qu’elle ne vivrait plus longtemps. Elle gardait espoir, les médecins aussi mais qui pourrait lui dire si un jour ce cancer s’en ira ? Qui pourra dire qu’un jour elle guérira ? Il ne lui restait qu’une seule chose à faire : vivre comme si de rien n’était et penser à comment elle pourrait annoncer ça à sa famille…